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ville House et qu’il voudrait bien y être encore. Rien qu’à la façon dont il en parle je ne mets pas en doute que chaque nuit l’aile du rêve ne l’y ramène.

« — Jersey, repart-il, et Guernesey plus encore, sont les deux rocs fleuris de la liberté. Ni Anglais, ni Français, autonomes, ils vivent d’eux-mêmes, par eux-mêmes, sous le joug flottant de leurs lois communales. Comme, par fiction politique, ils relèvent du domaine de la Reine, le Parlement anglais ne peut pas les annexer au royaume et s’arrête devant le privilège. Ils sont Normands, et voilà tout et c’est la mer qui monte la garde autour de leurs citadelles. À Guernesey on fait ce qu’on veut, on dit ce qu’on veut, on pense comme on veut. En fait d’autorités, personne, qu’un juge de paix qui n’a point de besogne, et le municipe, toujours d’accord. L’Europe n’a qu’à copier ça pour être heureuse.

« Victor Hugo nous dit encore que c’est à Guernesey qu’il a écrit son meilleur livre. — Lequel, maître ? — L’Homme qui rit. L’Angleterre est toute dans L’Homme qui rit et elle n’est que là ! On croit que les comprachicos sont de mon invention. Erreur, les comprachicos sont authentiques. Leur historien, Chiclardus, m’a fourni les éléments de L’Homme qui rit. Je n’ai fait que les mettre en œuvre. — Qui, Chiclardus ? interroge Monselet, le binocle dressé sur une bouche béante.

« Et sa stupeur met en joie le poète.

— Oui, oui, oui, voilà Charles Monselet, l’érudit, le bibliophile, le Monselet qui sait tout, il ne connaît pas Chiclardus ! — Chiclardus, non, même de nom, je l’avoue. — Eh bien, voici. Quand après le