les entraînements de la vie nous tirèrent chacun en sens inverse et, peu à peu, nous nous trouvâmes dénoués, hélas ! et tout surpris de l’être. Pourquoi faut-il qu’on s’use en amitié comme en amour ? Lorsque nous nous rencontrions dans cette mêlée absurde d’intérêts où se résume aujourd’hui toute confraternité artistique, nous nous cherchions mutuellement, dans les yeux l’un de l’autre, le cher compagnon d’autrefois. Il n’en restait de traces que le banal tutoiement professionnel et le culte fidèle d’une grande mémoire.
Il est parti à son heure, après Alphonse Daudet, Léon Cladel, Paul Arène et les autres bons vendangeurs, ouvriers de plein air, de la vigne française, ceux d’avant le phylloxera ; il est entré avec eux dans Chanaan, il s’y repose, sa besogne est faite. Je n’ai pas à la juger, n’étant pas critique, et la place ici m’y manquerait. Tout au plus établirai-je que l’œuvre lyrique d’Armand Silvestre apparaît triple, ou plutôt se classe sous trois recherches. La première, par son panthéisme hellénique très décidé, l’affilie à André Chénier. Dans la deuxième, où il sacrifie à l’adoration toute plastique de la beauté féminine, il se rallie à Charles Baudelaire. Enfin, en un troisième exercice, plus familier sinon plus naturel, de ses facultés poétiques, c’est Théodore de Banville qui le guide à la trouvaille de ces vers à chanter et pour chanter, dont les rythmes légers et doux en eux-mêmes hantent l’oreille des musiciens de mots. Dans les trois genres, il laisse des pièces admirables et des modèles.
À ces trois brins de laurier de sa couronne, Armand Silvestre voulut, un jour, greffer le pampre de