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femme qu’il mena à l’autel était charmante et riche de tous les attraits désirables, beauté, naissance, fortune et elle fleurissait sa vingtième année. Leur lune de miel s’encadra dans l’un de ces domaines seigneuriaux dont le mari est le burgrave héréditaire et féodal encore.

— Tout ici est à vous, princesse, et pour vous et je n’y mets qu’une seule réserve. Il y a sur ce palier une chambre dont je vous prie de me laisser la jouissance exclusive. Si vous en voulez la clef, la voici, mais ne vous en servez pas, dans votre intérêt même et surtout par amitié pour moi.

— Êtes-vous Barbebleue, monseigneur ?

— Non, avait-il souri, mais, si douce que soit notre union, elle a été précédée d’un passé et j’ai vécu avant de vous donner ma vie.

— Gardez votre clef, avait-elle dit, votre chambre et votre passé. Le présent suffit à mon rêve.

Elle avait tenu parole. À certaines heures, d’ailleurs irrégulières, il entrait dans la chambre, s’y enfermait, et quand il en sortait, il sautait à cheval et s’enfonçait à bride abattue dans les bois comme un uhlan de ballade.

Un soir après une de ces courses inexplicables, il trouve tous ses gens bouleversés et courant de-ci de-là, avec des torches, des caves aux combles du château. Plus de princesse. Depuis midi elle a disparu, sans qu’elle ait pu quitter ses appartements, et l’on n’en voit traces nulle part.

— Allez, fait le maître, les lèvres tremblantes, je sais où elle est.

Il vient de se souvenir qu’il a laissé distraitement la clef de la porte dans la serrure. Et il y va droit et