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où il voisinait avec Puvis de Chavannes, et c’était quand j’étais las et découragé d’écrire et de mettre du noir sur du blanc que le besoin me prenait de m’oindre de courage, de force et de joie au frottement de ces beaux génies.

Henner n’ouvrait sa porte qu’à la tombée du jour, quand il en avait employé toute la lumière. Encore ne fallait-il pas qu’il eût à mettre au courant sa correspondance et, s’il était en retard avec celle d’Alsace, il eût laissé le Père Éternel tirer la langue sur son paillasson. — Che n’y suis bas auchourd’hui, jer ami, vous criait-il, che zuis tans ma vamille.

J’ai dans les yeux encore la vue de cet atelier de la place Pigalle qu’il occupait depuis son retour de Rome, en 1864. Rien n’y avait été changé, pas même le vieux poêle de faïence où s’étaient chauffées toutes ses nymphes, et dont les murs sans décoration s’embrumaient des gazes de la nuit prochaine. Henner n’y voulait ni tableaux ni esquisses, non seulement d’autrui, mais de lui-même. C’était comme une vaste cellule monastique où l’on rêvait mieux un Fra Angelico qu’un prêtre assermenté du panthéisme. La baie aux rideaux mobiles, dont il dirigeait le jeu de lumière avec un long appui-main, à la façon des photographes, selon les effets de clair-obscur à obtenir, ne laissait filtrer qu’un demi-jour rembrandtesque sur les chevalets déjà recouverts de leurs toiles et voilés. Le peintre redoutait la « boussière sur la beinture vraîche » et il en préservait avec soin les morceaux de la journée. Je lui définissais ainsi la sensation reçue de cet atelier mythologique : — Il me semble toujours en entrant chez vous, qu’il y flotte des toiles d’araignées. Cette image le déridait. Il me