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— Pardon, remarqua celui-ci dans un susurrement, des vers, mais tu en as fait !

— Le citoyen Vallès a fait des vers ? C’est donc pour ça qu’on l’accuse d’être mou ! Car je n’ai pas à te le cacher, on t’accuse d’être mou parmi les réfugiés. Vermersch me disait de toi, hier matin : « Vallès ? ses convictions ne tiennent qu’à un sourire de jolie femme. »

— Nous verrons ça à la rentrée, dit Vallès la lèvre humide.

Le café servi, on repartit en causerie joyeuse. Vallès hyperbolique, paradoxal, gueulard, avec un bon rire d’enfant, qui démentait les truculences de ses paroles. Car il y avait un « tendre » dans ce révolté, et, ce soir-là je m’en suis rendu compte, un « tendre », et un naïf aussi, cela n’est pas douteux. Une vie tranquille et régulière aurait fait sortir de l’Auvergnat mal léché qu’il croyait être et qu’il n’était que par pose, un père très bon, un rentier très paisible, et peut-être même un bourgeois. Car celui qui l’a appelé un jour : « Monsieur Joseph Proudhon », l’avait pénétré profondément.

Grand écrivain, cela est incontestable, écrivain de la bonne race française, sobre, nerveux, concis et sonore, Jules Vallès laisse un livre qui restera, c’est Le Bachelier. Mais il n’était que gendelettre, il n’était pas artiste de lettres et lorsque Castagnary lui criait d’un bout de table à l’autre, à la brasserie des Martyrs : « Si je te prenais cent mots de ton dictionnaire, tu ne serais plus fichu d’écrire une page », le critique d’art mettait le doigt sur la plaie de ce talent, bien plutôt étréci que développé par l’éducation universitaire.