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casmes et l’opprobre devient mon partage. — Ohé ! seigneur Caliban, vous voulez vous payer nos têtes ! — Il est certain que c’est rebrousser la légende.

Dumas ne fut pas seulement l’homme dont l’esprit notoire semble à tous incompatible avec la réelle bonté ; il était l’un des deux ou trois extraordinaires arbalétriers du trait et sagittaires du mot de notre carquois national. Sa réputation sur ce chef était tellement établie que pendant près d’un demi-siècle, la satire et l’épigramme ne lancèrent point de dards, à Paris, qui ne lui fussent justement attribués ou attribuables. Oh ! les mots de Dumas ! Jamais grande chambrière de moraliste ne fouetta d’une mèche plus cinglante, plus clic-claquante, et dans le tas, les coquins, et les imbéciles, et les lâches aussi, de la mascarade civilisée. Ça crépitait comme grêle et mitraille et comme il le disait lui-même, quand il n’y en avait plus il y en avait encore. Eh bien oui, nul ne parut si méchant, et nul ne fut aussi bon ; seulement il n’était pas complice.

L’idée que l’on se fait de la bonté d’un homme est toujours en raison directe des compromissions qu’on en espère. Mais la vraie bonté n’est qu’une compassion avec l’espèce, elle n’est pas une solidarité avec l’individu. C’est ce qui explique la philosophie immodifiable et traditionnelle des dramaturges prêtres de la nature et ses défenseurs contre la société et ses vaines entreprises. Dumas était un dramaturge, et un dramaturge né, de la lignée dont furent Eschyle ensemble et Aristophane, excellentes gens, sûrement, et il menait comme eux le combat des grandes lois humaines contre les petits intérêts des mœurs chan-