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marchandises et il y tenait dans ses rets un généreux ébéniste.

Il est certain que les choses les plus identiques changent d’aspect selon le cadre où elles se manifestent. Nul plus que moi, certes, n’était rompu aux péripéties de cette vie de bohème, où chaque nouveau soleil apporte son problème de subsistance. J’étais déjà de ceux dont on ne vient pas aisément à bout, et, très jeune athlète encore, huilé pour tous les combats. Mais cette fois, devant cette mise en ménage, qu’un couple d’ouvriers eût trouvée misérable, ma responsabilité m’apparut tout à fait grave. Je n’étais plus seul en face des dieux. Il y avait là, et pour toujours, une jeune femme de grande race, élevée sinon dans l’abondance, du moins dans le bien-être, adorée par un père illustre, habituée depuis l’enfance à jouir des bénéfices de sa filiation, entourée des hommages de l’élite, et dont tout le bonheur reposait à présent sur la foi qu’elle avait eue en ma tendresse. Qu’allait-elle devenir, au bras d’un apprenti de lettres, peu disposé aux compromis, mal fait pour le commerce de son art, et sans autre outil de labeur que la plume des gueux d’esprit ?

Je la compris, alors, la parole du sage. Mais, ténor ? ne l’est pas qui veut, et, de Mario, je n’avais que la tête, si je l’avais !

Nos amis partis à leurs affaires, nous procédâmes à notre installation. Elle ne fut pas longue. Ma fière et vaillante compagne n’avait pris chez son père que ses effets personnels et son linge. Elle ne voulut rien devoir à Zoé Langue de cô, qu’elle détestait et qui était la cause des dissentiments de la famille. Le petit trousseau fut réintégré dans l’armoire, et, le