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fournisseur attitré de la maison de Molière et tous ces beaux artistes, servants eux-mêmes du culte classique, ne voyaient qu’en lui l’héritier de notre tradition dramatique triséculaire. Dans la galerie des bustes, le socle était déjà dressé pour recevoir le sien.

Quand on a un peu vécu sous le règne théâtral, aux victoires triomphales d’un Émile Augier, on ne traverse pas sans mélancolie la place deux fois excentrique où la République d’affaires a relégué son Aristophane. Cette oasis pavée est lointaine et plus solitaire encore. Elle restitue — moins la musique militaire de la garnison — le type des mails de province chers aux joueurs de boules. L’immortel du monument a l’air de crier, il crie même, si j’entends bien, aux jeunes maîtres du lustre les plus abondants en centièmes : — « Soyez humbles, regardez-moi, j’ai tenu la corde dans notre art, voilà où l’on me confine, ubi defuit orbis. Si j’étais mort avant la chute de l’Empire, mon icône ornerait les boulingrins de la place ombragée du Théâtre-Français ; on lirait sur ses stèles les titres des œuvres les plus célèbres d’un répertoire que tout me jurait perdurable, La Ciguë, L’Aventurière, Le Gendre de M. Poirier, Les Lionnes Pauvres, et ce Giboyer qu’on tenait pour le Figaro du siècle. Eh bien ! tout cela, paraît-il, ne valait qu’une fontaine sans eau dans une cour de diligence, et c’est un nommé Gustave Larroumet qui fait pendant, sous les portiques, à l’Alfred de Musset que l’on y commémore. Soyez humbles, vous dis-je, et économisez. »

Adonc, en 1866, le dieu, comme dit Rolla, n’avait pas une athée, et ma foi plus sincère que tout autre