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monter les marches. On se demande comment, si peu doué pour les choses du suffrage universel, ce gentilhomme a pu trouver des électeurs en France dans les comices.

Au château de Coppet j’étais presque chez moi puisqu’il appartenait au duc de Broglie, mon chef de file. Rochefort m’en fit plaisamment la remarque. — Vous n’avez qu’à vous nommer ici, raillait-il, et il me présenta à la gardienne : M. Émile Bergerat, critique d’art assermenté du gouvernement français. Il vient admirer le portrait de la baronne, le portrait au turban, par l’illustre David, et qui d’ailleurs n’est pas de David, mais de Duplessis-Bertaux, Madame, il ne faut pas tromper les voyageurs. À présent peut-on visiter les chambres ?

À toutes celles qu’elle nous montrait je voyais le lanternier secouer la tête et témoigner de son indifférence. Il ne s’intéressait qu’à une seule, celle qu’on cache, la bonne, la chambre de Benjamin Constant.

— Et M. Benjamin Constant, Madame, où couchait-il en ces lambris dorés ? Il est acquis à l’histoire qu’il fit de longs séjours chez la baronne et que leur intimité était grande. Dans Adolphe, un joli roman un peu embêtant, Madame, et que je vous conseille de ne pas lire, il est dit que le grand suisse n’avait que le verrou à tirer pour recevoir le turban. Où est la chambre de feu M. Benjamin Constant ?

La pauvre femme décontenancée finit par nous avouer qu’elle ne savait pas ce que nous voulions dire, c’était trop apparent et Rochefort lui glissant quarante sous pour la rémunérer de sa peine : « Acceptez cette obole du proscrit et Dieu veuille qu’elle aide le duc de Broglie à payer ses dettes !… »