Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la doctrine mutuelliste, fouriériste et saint-simonienne. Pour un couvert d’argent, en ruolz d’ailleurs et qui par conséquent est déjà une falsification, pensez-vous en remontrer à un mandarin de première classe, de la province de Chang-Si, qui possède les quatre-vingt mille mots de sa langue quand vous en savez à peine, vous, trois cents de la vôtre !

Et comme l’évêque des Misérables offrant les chandeliers dérobés au voleur, il tendait les « ruolz » au professeur de sinologie comparée, commerçant né et inné et hôte de ses lares, en exil chez les barbares.

Il est constant que Tin en emporta quelques-uns et plusieurs pour monter son double ménage et faire honneur à cette bigamie dont le cas n’est pendable, lui aussi, que dans les pays froids où le soleil se couche. Comme je n’ai pas lu le Ta-hio, je ne sais pas comment ce livre d’excellence trempe les forts, et je n’ai pas, comme ma géniale belle-sœur, Judith Gautier, pénétré l’âme chinoise, mais je remarquai que, pour l’auteur de La Petite Pantoufle, les ruolz volés perdaient tout leur prix dès qu’ils lui étaient laissés à titre de présent. Il ne prisait que les autres. Ainsi les chats, êtres simples et proches de Dieu, trouvent-ils la joie naturelle à chiper, et non à recevoir, les rogatons de la table du maître. Proudhon a dit : « La propriété, c’est le vol », et la Chine ajoute : « Le vol, c’est le plaisir », cent ans avant Socrate. Philosophie profonde !

Tin-tun-ling ne mettait pas qu’au partage des biens mobiliers cette naïveté fraternelle des premiers jours du monde et de la grande civilisation. S’il possédait les quatre-vingt mille mots de sa langue, il n’avait pu en apprendre que très peu de la nôtre, et pas