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sauterelles » et décrocher une première médaille, peut-être. Mais c’était bien littéraire ! Si littéraire, qu’il ne restait plus qu’à rentrer à Rosebois faire une partie de bouchon ou aider la maman Glaize à cueillir des fraises et des framboises pour le déjeuner.

J’intervins, et pourquoi, je me le demande. C’était mon anch’io son pittore, l’heure de la fatalité qui me marquait pour la luxembourgeoisification future, car je n’avais touché un pinceau de ma vie.

— Si tu te charges du Pharaon, jetai-je à Léon, je fais la plaie d’Égypte, d’après nature, et j’estompe La Ferté-sous-Jouarre dans l’atmosphère mordorée, avec, au premier plan, les taillis sans feuilles et déchiquetés par la colère de Sabaoth. Te charges-tu du Pharaon ?

— Je le lui poserai, dit Georges Becker, dont la ressemblance avec Napoléon, d’ailleurs extraordinaire, promettait une chance de plus pour la première médaille.

— Prête-moi ta boîte, allez-vous-en, et sonnez-moi pour le déjeuner. J’aurai fini quand j’entendrai la clochette suisse.

Et je restai seul devant la palette, pour la première fois, et la nature, minute solennelle et séculaire, d’où je date tant de joies.

Le ton « hanneton » est un très beau ton, et je l’obtins par des mélanges à la fois raisonnés et hasardeux, qui me rassurèrent sur la justesse de mon œil de coloriste. J’en couvris la toile, comme un vitrier peint une porte. Puis, avec le couteau flexible, j’y ciselai le fond brumeux de La Ferté-sous-Jouarre, avec un coin de la Marne qui passait. J’avais réservé la place du Pharaon, par une délimitation de sa forme