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De pensée en pensée je voyais surgir devant moi mon enfance, le cours des fraîches années — vision qui depuis longtemps m’était étrangère. — Les accents oubliés bourdonnaient à mon oreille. — Et, au loin, le Présent s’avançait comme la vague au bord de la rive.

Puis, pareille au torrent qui se perd dans le gouffre, — et de nouveau jaillit plus loin, hors du sol, — je me transportais soudain dans le pays de l’Avenir. — Je me voyais, vieille, courbée, — la vue affaiblie, enfouir dans la couche héréditaire[1] — soigneusement, avec ordre, tous les poussiéreux souvenirs d’amour.

Je voyais clairement les incarnations de ma tendresse — m’apparaître sous leur déguisement maintenant suranné — et me délivrer du masque décoloré — qui se brisait en tombant dans la poussière. Et je sentais sur ma joue tremblante, lentement, couler des larmes amères.

Devant ce mausolée — où étaient inscrits les noms que mon amour connaît, je me prosternais en prière sur mes genoux débiles — et — (écoute ! la caille chante ! Frais, court le vent !) — je me voyais pareille à une fumée absorbée peu à peu par les pores de la terre.

Je me relevais ensuite et frissonnais — comme quelqu’un qui se sent déjà entraîné vers la léthargie de la mort et, au retour, je chancelais le long des sombres haies, doutant à chaque instant si l’étoile du gazon n’était pas la clarté d’une veilleuse, — ou encore la lumière éternelle du tombeau.

  1. La bière, la fosse.