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l’ouvrage. Chacun d’eux, à son tour, voudrait accroître la liste des chantres primitifs auxquels seraient dus les principaux fragments, et le tout disparaîtrait sous la marqueterie des morceaux ainsi rassemblés. Heureusement que les plus fougueux partisans de la théorie des auteurs multiples se sont petit à petit assagis et se contentent depuis quelque temps d'hypothèses moins extrava­gantes. De nos jours, les érudits semblent admettre que si l'on fait abstraction de courts passages peu importants, le fond du poème se compose de trois, ou plutôt même de deux, grandes divisions bien nettes ayant eu probablement une origine distincte et dont l’indépendance foncière ressort encore clairement à la lecture du manuscrit actuel.

C’est d’ailleurs ce que met en évidence une analyse critique de son contenu. Le Beowulf commence par un éloge des rois de Danemark et par l’histoire sommaire des premiers souverains de ce pays. De là, le poète arrive au règne de Hrothgar et à la construction dans sa capitale — que l'on s’accorde aujourd'hui à situer non loin de Lejre, dans l’île de Seeland — d’une haute salle décorée de bois de cerfs et appelée pour cette raison le Heorot. Le roi ne jouit pas longtemps en paix avec ses preux du superbe bâtiment. Un monstre du nom de Grendel, habitant avec sa mère les marécages voisins, vient de nuit y assaillir les Danois et emporter des victimes qu’il dévore dans son repaire. Les conseillers du chef cherchent en vain un remède à leurs maux et plusieurs années se passent pleines de deuils et d’affreuse tristesse. C’est alors qu’un jeune noble géate, Beowulf, dont le père Ecgtheow eut jadis à se louer des bons offices de Hrothgar, entend parler de son infortune et se décide à lui porter secours. Il s’embarque au Sud de la péninsule scandinave avec quatorze braves du Gotland, et après une traversée de vingt-quatre heures atteint le littoral danois. Un gardien de la côte les arrête et les interroge. Instruit de leurs projets amicaux, il les met en bonne voie et la petite troupe se présente au Heorot. Là, le souverain les reçoit avec gracieuseté et ils prennent part à un banquet au cours duquel Unferth, l’ora­teur attitré de Hrothgar, raille Beowulf qui serait incapable d’af­fronter le monstre puisqu’il a autrefois échoué dans une lutte à la nage contre Breca. Il provoque de la part du héros un démenti formel et une riposte foudroyante. Après le festin, le roi se retire et Beowulf, entouré de ses compagnons, attend l’ennemi. Le monstre survient et engloutit Hondscio. Mais le preux géate le saisit par le bras et Grendel n’échappe à son étreinte qu'en laissant entre ses mains le membre arraché à l’épaule. Le lendemain, Hrothgar, tout joyeux, félicite son hôte et le comble de présents.

Mais cette première aventure est à peine terminée qu’une autre lui succède. Pendant la nuit qui a suivi cette victoire, la mère de Grendel, brûlant de venger son fils, s’est rendue au Heorot et, n'y trouvant pas le noble géate, a tué Aeschere, principal conseiller du