Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oublier les détails accessoires qui présenteraient un réel intérêt pour le lecteur. Volontiers il interrompt le cours de l’action pour laisser parler ses personnages et par là l’observation psychologique entre dans son récit. Même il arrive que ce sont des dialogues qui ont été conservés et ces dialogues, loin d’être de courtes et vives répliques comme dans le Combat de Finnsburg, s’étendent avec complaisance sur diverses circonstances de la lutte engagée et sur la valeur du héros qui prend la parole. Ils ont bien, semble-t-il, le développement oratoire des apostrophes et des plaidoyers chez Homère et devaient appartenir à un poème de grande étendue. Le Waldere constitue donc, pour autant que l’on puisse juger d’après ce qu’il en reste, le début, en quelque sorte, de l’épopée véritable dans l’histoire des lettres anglaises. Il suppose un art déjà consommé, et provient, à n’en pas douter, de quelque scop ou ménestrel de profession.


Le “Beowulf” et son sujet épique.


Jusqu’ici nous n’avons eu affaire qu’à des tentatives plus ou moins heureuses, à de simples ébauches de poèmes narratifs de longue haleine. Avec le Beowulf c’est une œuvre complète qui apparaît, isolée cependant, comme pour laisser le regret d’autres œuvres analogues dont on peut soupçonner l’existence à l’aurore du moyen-âge et qui ne sont pas venues jusqu’à nous. Mais, à lui seul, il suffit pour faire entrevoir ce que savait produire la muse épique en pays germanique quand elle traitait une matière empruntée à l’histoire légendaire de la race. C’est en effet un spécimen bien conservé d’une de ces anciennes épopées guerrières nées d’abord sous forme de cantilènes diverses et plus tard fondues ensemble par quelque rhapsode entreprenant. Les apports primitifs se reconnaissent non seulement dans certains épisodes comme ceux de Finn, d’Heremod et de Thrytho, mais encore à des interruptions soudaines du récit et à des inégalités de facture où semblent se trahir les points de suture originels. Il y a donc trace de ces chants spontanés en l’honneur des héros d’autrefois dont parlent les historiens de l’antiquité, et Tacite entre autres, dans son De Moribus Germanorum, à propos des prouesses et de la mort d’Arminius. Et pourtant l’on trouve mieux dans le Beowulf qu’une série d’incidents au de contes détachés. L’on y découvre un sujet unique se développant avec plus d’art et de logique que n’en comporterait une composition purement populaire et c’est ce qui permet de l’attribuer, comme nous le verrons, à un poète responsable de la rédaction définitive, en tout cas à un jongleur professionnel visant un but proprement littéraire.

Mais pour se rendre compte des conditions dans lesquelles cette œuvre se présente à la critique moderne, il importe de savoir comment et sous quelle forme elle a traversé les siècles. Ainsi que la grande majorité des poèmes en vieil anglais, le Beowulf a été trans-