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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

« Toi-même, lui dit-elle, tu as tes devoirs de grande sœur, comme nous avons nos devoirs de père et de mère. Tu dois, dès à présent, ta protection à Cora ; tu lui devras plus tard l’exemple, et si je lui manquais un jour, si, la fortune de ton père s’écroulant, vous restiez, — ce qu’à Dieu ne plaise, mais tout est possible, — sans ressources comme tant d’autres, tu serais tenue, sous peine de mécontenter Dieu et ta mère qui ne serait plus là, de devenir la petite maman de ta sœur, de travailler pour elle, de te sacrifier au besoin pour son avenir. Comprends-tu ? Entends-tu, Yette ?… »

On eût pu croire Yette insensible à ces touchants discours, tandis qu’en réalité elle était, trop pleine d’émotions nouvelles ; la stupeur la rendait muette. Jamais cette pensée ne lui était venue que sa mère pût mourir ; elle l’avait crue jusque-là destinée, par quelque glorieuse exception, à une jeunesse, à une beauté éternelles. De même, il lui eût paru impossible que son père pût être victime d’un de ces vulgaires accidents qui transforment du jour au lendemain l’opulence en pauvreté ; il lui semblait trop au-dessus du commun des mortels. Toute petite elle avait appelé la mer grande rivière à papa ; maintenant encore,