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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

on a pris des merles. Il suffit d’imbiber de tafia des poignées de farine de manioc[1], que l’on dispose sur les roches au milieu de l’eau. Les merles viennent manger cette farine, s’enivrent et se laissent prendre à la main. Il est curieux qu’un oiseau qui passe pour méfiant et rusé, qui sent l’odeur de la poudre, à ce que prétendent les nègres, car, avec un fusil, il est presque impossible de jamais le tenir à portée, il est curieux, dis-je, que ce merle madré succombe si facilement à la gourmandise. Bien entendu, nous n’avons pas gardé nos prisonniers ; ils sont trop utiles en liberté ; que deviendraient les bœufs, les vaches et les chevaux dans nos savanes, si le bec intrépide et familier des merles ne les délivrait pas des tiques, ces vilains petits insectes parasites dont la morsure est si douloureuse ? Aucune bête à cornes ne demeurerait peut-être en bon état, sans les services du merle qui, en se perchant sur son dos, sur sa tête, en becquetant ses pieds, supplée à l’incurie des gardiens. Nous avons donc lâché nos merles, après avoir

  1. Le manioc est un arbrisseau noueux, rempli d’excroissances qui viennent à tous les endroits d’où tombent les feuilles. Son bois est tendre ; ses racines râpées donnent une excellente farine, aussi nourrissante que celle du froment.