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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

maîtresses. Les trois enfants restèrent ainsi dans le grand parloir froid et nu, envahi de plus en plus par le crépuscule d’automne, jusqu’à ce que Yette, embrassant sa sœur, lui dit avec résolution : « Je te reste, moi ! » Et la petite fille, rassurée par cet accent tendre et sérieux qui lui rappelait une voix chérie, désormais éteinte dans le tombeau, se pressa plus étroitement contre elle comme elle l’eût fait contre sa mère.

C’était trop vrai ; les pauvres enfants se trouvaient désormais sans ressources. En dépit d’efforts énergiques, leur père n’était pas parvenu à couvrir les emprunts forcés qu’autrefois nous l’avons entendu avouer au vieux curé du Macouba. C’est parce qu’on savait sa propriété grevée de dettes que personne n’avait voulu l’acheter, quand il avait souhaité de s’en défaire. Là-dessus le coup de vent était venu détruire la sucrerie, le revenu avait été insuffisant pour payer les intérêts des créanciers, et l’un d’eux avait poursuivi la vente de la propriété. Rien de plus fréquent aux colonies, où les cyclones, les tremblements de terre et autres révolutions de la nature déjouent souvent tous les calculs de la prudence et du labeur humain. M. Darcey n’ignorait aucun détail de cette histoire, mais il ne jugea