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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

y en a un plus gourmand et plus malin que les autres, pourtant, qui mange la saucisse et qui n’en meurt jamais ; il est malade, mais un bain dans le canal de la rue le remet.

— Pauvre bête ! » dit Yette, lui jetant, faute de pain, le gâteau qu’elle était en train de manger et qui cependant lui semblait très bon.

Vers sept heures on rentra dîner, mais ce ne fut pas sans avoir assisté à une scène étrange.

Devant la maison de M. Desroseaux, l’un des serviteurs de la famille, un vieux nègre nommé Trésor, tenait un balai d’une main, un énorme crabe de l’autre :

« Voilà un crabe superbe, dit M. Desroseaux, — et il fit observer que ce crabe gris, le crabe de terre, était le plus délicat de tous ; — il a dû s’échapper, ajouta-t-il, de quelque baril où l’avait emprisonné une cuisinière du voisinage. Il faut tâcher de savoir laquelle, pour le lui rendre. »

Mais Trésor ne répondît que par un hon significatif, accompagné d’un hochement de tête soucieux et du mot de voyé chuchoté entre ses dents ; puis il jeta de toutes ses forces le crabe dans le canal ouvert au milieu de la rue pour l’écoulement des eaux de chaque maison, et l’écrasa du coup.