Page:Benserade - La Mort d’Achille et la dispute des armes.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
TRAGEDIE.

Vous en avez fléchy mon furieux couroux,
Et je n’ay juſqu’icy rien obtenu de vous :
Je ne puis empeſcher que ma douleur n’eſclatte,
Vous eſtes pour mon bien trop belle, & trop ingratte ;
Je ſçay bien, que par moy Troye a ſouvent gemy,
Mais je n’ay pas touſjours eſté voſtre ennemy :
Vos chefs, & vos ſoldats meſme vantent ma gloire,
Je n’ay point de leur ſang fait rougir ma victoire,
Je croy que le bien-fait a l’offence eſgalé,
J’ay fait mourir Hector, mais vous l’avez bruſlé.
Souffrez que je me plaigne, & vous nomme cruelle,
« Sous le pied qui l’eſcraſe un ver eſt bien rebelle. »

Polixene.

Quoy l’Amour n’a pour vous que de rudes appas ?
Si l’on ne vous embraſſe, on ne vous ayme pas ?
« Le ſoldat ancien de ſon ſang ne s’effraye,
Et le jeune pâlit au ſoupçon d’une playe :
L’un ignore comment un laurier eſt gagné,
L’autre a vaincu cent fois apres avoir ſaigné.
Celuy qui dans l’Amour a conſommé ſon âge
Pour un ſimple deſdain ne perd pas le courage,
Et le jeune au contraire außitoſt qu’on le void
Penſe qu’on le deteſte alors qu’on luy fait froid,
L’un cognoiſt les deſdains, & ſçait qu’Amour en uſe,
L’autre ignore qu’il donne außi-toſt qu’il refuſe. »