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LA MORT D’ACHILLE.

Voſtre cœur ayme-t’il ceux que voſtre bras hait,
Contre qui tous les jours vous ſuez ſous l’armet ?
Et comment voulez-vous que de bon œil je voye
L’homicide d’Hector, & l’ennemy de Troye ?
Ha triſte ſouvenir de mes derniers mal-heurs !
Las ! eſteignez vos feux, laiſſez couler mes pleurs.

Achille.

Faut-il qu’à ſes grands maux mon foible eſprit reſiſte ?
Que le plus affligé conſole le moins triſte !
Ne mouillez plus vos yeux mes aymables vainqueurs,
N’eſteignez-pas ainſi le beau bucher des cœurs ;
Adorable Princeſſe, en mon ardeur extreſme,
Helas vous fay-je tort de dire, je vous ayme ?
Un ennemy mourant offence-t’il beaucoup,
S’il dit à ſon vainqueur, voy ma playe, & ton coup ?
Blaſmez, ſi je vous ayme avecque violence,
Voſtre commandement, non pas mon inſolence,
Ne m’avez-vous pas dit me demandant Hector,
Pour vous fleſchir mes pleurs peuvent couler encor ?
Perdez cette rigueur où peu de gloire brille,
Et qu’Achille une fois ſoit vaincu d’une fille.
Euſſay-je apres cela combatu vos appas ?
Souffrés que j’obeïſſe ; ou ne commandés pas.
Que n’ay-je pour vous vaincre avec vos propres armes,
Vos cheveux arrachés, vos ſanglots, & vos larmes !