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La Cleopatre

Nous conjure eſ‍tant preſ‍t de ſubir le trépas
1160De ne le plaindre point, puiſqu’il ne s’en plaint pas.
La pitié de ſon mal nous oſ‍tant la parole
Le rend plus eloquent, luy-meſme il nous conſole
Se voyant ſur le point de nous abandonner,
Et l’on reçoit de luy ce qu’on luy doit donner.
1165Il nous eut fait des dons, mais de cette fortune
Qu’avec vous, ô Ceſar il eut jadis commune,
Il ne luy reſtoit pas dans ſes ſoins obligeans
Dequoy recompenſer le moindre de ſes gens.
Je ne vous donne rien, & le ſort m’en diſ‍pense,
1170Il a, dit il, mes biens, & voſ‍tre recompenſe.
Là deſ‍ſus il nous quitte, & court tout furieux,
Nous laiſ‍ſant le cœur triſ‍te, & les larmes aux yeux,
S’enferme avec Eros qui luy fut ſ‍i fidelle
Au lieu le plus ſecret que ſon palais recelle,
1175Et là ce qui s’eſ‍t fait a du Ciel es‍té veu,
Je n’en parleray point, puis que vous l’avez ſceu ;
Le Soleil qui s’enfuit au repas de Tyeſ‍te
Regarde fixement un malheur ſ‍i funeſ‍te,
Sans que d’un voile obſcur ſon œil ſoit aveuglé,
1180Et ſans ſe deſ‍tourner de ſon chemin reglé.
Là ce Prince à nos yeux ſe debat, & ſe roule
Dans un fleuve de ſang qui ſur la terre coule,