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dans la nuit électrique. L’homme vient d’allumer une cigarette. Il s’est accroupi, face au Midi. Il fume.

C’est Cegheïr-ben-Cheïkh, notre guide targui, celui qui dans trois jours va nous entraîner vers les plateaux inconnus du mystérieux Imoschaoch, à travers les hamadas de pierres noires, les grands oueds desséchés, les salines d’argent, les gours fauves, les dunes d’or mat que surmonte, quand souffle l’alizé, un tremblant panache de sable blême.

Cegheïr-ben-Cheïkh ! C’est cet homme. Elle me revient à l’esprit, la tragique phrase de Duveyrier : « Le colonel met le pied à l’étrier et reçoit au même moment un coup de sabre[1]… » Cegheïr-ben-Cheïkh !… Il est là. Il fume paisiblement une cigarette, une cigarette du paquet que je lui ai donné… Mon Dieu ! pardonnez-moi cette félonie.

Le photophore jette sur le papier sa lumière jaune. Bizarre destinée, celle qui, à seize ans, sans que j’aie su au juste pourquoi, a décidé un jour que je me préparerais à Saint-Cyr, a fait de moi le camarade d’André de Saint-Avit. J’aurais pu étudier le droit, la médecine. Je serais aujourd’hui quelqu’un de bien tranquille, dans une ville, avec une église et des eaux courantes ; et non pas ce fantôme vêtu de coton, accoudé,

  1. H. Duveyrier, Désastre de la mission Flatters. Bull. Soc. géo., 1881.