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LES PLAISIRS DU HASARD

Emmanuel. — Qui précisément n’en sont pas. Je m’en tiens à la bonne nature, et fais familièrement ce qu’elle commande.

Ève. — D’où confusion des gens !

Emmanuel. — Ah ! c’est leur faute ! Connaissez-vous l’histoire de mon patron Saint-Denis ?

Ève. — Un peu.

Emmanuel. — De lui seul je m’inspire. Vous savez ce qu’il a fait, qui a tant étonné ses ennemis ?

Ève. — Non.

Emmanuel. — Quand ils lui eurent coupé la tête, il ne l’a pas replacée sur ses épaules : d’abord, elle n’aurait peut-être pas tenu ; puis ces imbéciles eussent été dans l’admiration ; ce n’était pas assez. Il a donc pris sa tête, puis, comme une boîte ou un livre, cette bonne tête il l’a mise sous son bras ; et les autres en ont eu une stupeur humiliée, que je m’efforce, par mes faibles ressources, de ressusciter chez leurs descendants, nos contemporains.

Ève. — Vous êtes spirituel : la famille a raison.

Emmanuel. — Le domestique aussi.

Ève. — C’est dommage que vous ne soyiez pas mon grand-oncle, mon confesseur ou mon romancier préféré.

Emmanuel. — Vous me demanderiez quoi ?

Ève. — Un mari…

Emmanuel. — À vous présenter ?

Ève. — À épouser tout de suite : j’aurais confiance.