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ACTE TROISIÈME
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Emmanuel. — Mon petit doigt me dit que vous êtes un petit démon.

Jacqueline. — Ah ! c’est votre petit doigt qui l’est !

Emmanuel. — Ne mentez pas. Regardez-moi bien. Où étiez-vous ce matin ?

Jacqueline. — À la campagne.

Emmanuel. — Non ? Est-ce bien vrai ?

Jacqueline. — Voui, bien vrai.

Emmanuel. — Vous en arrivez ?

Jacqueline. — Voui… Pourquoi vous avez peur, dites, Monsieur ?

Emmanuel. — Ah ! parce que… (Il se lève) Serait-ce possible ?… Si c’est possible, d’abord je ne sens plus mon cœur à la même place : quelle chute ! Ensuite, c’est ce que je connais de plus éclatant dans le genre ! Maison hors ligne ! Je les croyais des élèves en fantaisie. Ils m’ont dupé de main de maître !

Jacqueline. — Monsieur, voulez-vous jouer ?

Emmanuel, ricanant. — Ah ! oui, ma petite, oui, vraiment !

Jacqueline. — On va jouer à se marier.

Emmanuel. — Riche idée, de premier ordre… (Il se promène de long en large) Tout, maintenant, me revient ! La première fois que j’ai dit au père : « Vous avez une fille ? » « Oui ». Rien d’autre. — Quand je suis venu dîner ici, le premier soir, j’ai demandé : « Vais-je voir Mademoiselle Denis ? » — « Partie pour la campagne », sans plus. — À dix reprises j’ai questionné : « Elle va bien ? » — « Très, très bien », simplement. — Aujourd’hui : « Elle revient ? » — « Elle revient ». Et c’est tout.