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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

lique. Ce petit village devait avoir un charme très grand. Le printemps y apportait un air parfumé par toutes les feuilles de la vallée ; l’horizon y était vaste ; et du pays d’alentour, portées par les premières tiédeurs du vent, c’est là que les promesses de l’été devaient se rejoindre et le mieux s’accomplir. Quel crève-cœur de n’y plus trouver qu’un massacre de pierres et d’arbres !

Mais James Pipe, au lieu d’évoquer le malheur des beaux jours perdus, se réjouissait seulement du succès de son armée. D’un geste, il montra le désordre et le ravage de ces lieux, et d’un ton où sa joie frémissait :

— Ah ! Ah !… Bien pilonné !

— Hélas ! répondit Barbet.

Il lança cet « hélas » presque inconsciemment, par lassitude, plutôt que par amertume, — mais les hommes passent la moitié de leur vie à ne pas se comprendre, — et il suffit de ce mot pour jeter James Pipe dans une énorme confusion.

Tout à coup, en entendant « hélas ! », il s’aperçut qu’il avait dû peiner Barbet, et cette idée qui ne lui était pas venue que son compagnon était, en somme, un Français vivant, devant un coin de France à demi-morte, cette idée, soudain, lui fit comme une inondation dans la cervelle, et il se