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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

nerveux comme un homme d’outre-mer, le temps de se rendre compte, trois ou quatre minutes, — puis, songeur, il avait décidé de cacher la chose à ses hommes pour laisser aux malheureux que le sort condamnait leur dernière heure sans angoisse. Enfin, en Anglais fort, qui juge la mort même avec un sens précis, il trouva inutile de mettre ses affaires en ordre, puisque tout devait être bouleversé, ni de rien réserver pour personne, puisque tout sauterait comme lui. Mais soudain, ayant aperçu sur sa banquette de terre un jeu de dames qui était un prêt du capitaine voisin, il réfléchit que c’était un méchant raisonnement de dire : « Puisque je disparais, je me moque du reste ! » — qu’au surplus il était malaisé, aux armées, de se procurer un jeu de dames ; que, finalement, il fallait sauver celui-ci et le renvoyer à son possesseur qui, précisément, pouvait avoir envie de jouer à l’heure même où une centaine d’hommes feraient un bond dans l’autre monde.

Et c’est son ordonnance qu’il chargea de le porter, dix minutes avant la catastrophe, sauvant ainsi par une attention cachée, un homme qui lui était cher. L’ordonnance a raconté depuis :