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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

ne fut pas élevé autant que moi par le gymnastique. Il a étudié des livres, il ne peut comprendre le guerre, il dit que dans ma place il mourrait de chagrin… ce qui me fait rire beaucoup, car si on n’a pas les obus du Boche comme ici, vous voyez le guerre est un sinécure.

— Oui, mais, reprit Barbet, dans cette désolation qui suit les batailles, j’aurais un cafard… un spleen, comme vous dites !… Ces hommes qui travaillent là, dans cet effroi, n’ont donc pas le spleen ?

— Eh ! Pourquoi ? lança James Pipe qui rit aux éclats.

Alors Barbet qui, lui, mangeait sans appétit, se mit à échafauder en soi-même cette théorie que les Anglais étaient dépourvus d’imagination. On avait dû le lui dire déjà : il le vérifiait. Oui, ils étaient tous dépourvus d’imagination, sauf, peut-être, le père de ce James Pipe… et… Shakespeare aussi… mais… il n’y a pas de règle sans exceptions. En règle générale, un Anglais, c’est le major James Pipe : il subit, il ne songe pas, il se laisse vivre.

Tout de suite il fit part de sa réflexion au major, qui d’abord sourit sans répondre. Et peut-être qu’il ne le pouvait pas, car il eût fallu dire