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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

Et butant du pied, se tordant les chevilles, suant sur cette terre à faire crever le plus fort mulet, — il oubliait de regarder le présent, attendri par le passé. — « Dire qu’il y avait là des maisons, des arbres !… »

Maintenant, que distinguer dans cet ensemble plat, médiocre ? La route et le reste, tout confondu, d’un ton pareil, et les yeux ne retrouvent nulle part ce qu’ils ont connu et aimé. Contrée bizarre et inculte. On ne suppose plus qu’elle eut des habitants, des paysans, des jardins avec des fleurs, des fruits, et qui sait, derrière un bouquet de saule, une mare où les bêtes, au soleil couchant, s’en venaient lentement pour boire… « Dire, pensait Barbet, que sous ce ciel, il y avait un coin de France et que, de ma place, un peintre aurait trouvé jadis une matière champêtre et touchante ! »

Il en avait de la stupeur… et s’ennuyait presque ; mais James Pipe remarqua :

— Vous direz : « tout cela est rien », quand maintenant vous serez voyant le vallée de l’Ancre.

— Comment ? C’est pis ?

— Oh ! dit James Pipe, riant, c’est le première fois de l’ère chrétien qu’on voit telle chose.

Et, toujours, il paraissait satisfait, ce diable