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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

les hommes et leur étouffent la gorge. Seulement, aux secondes lignes, ils ont cette divine ressource : le feu ; et l’on voit toutes les tentes opaques devenir transparentes soudain, légères féeriques dans la nuit pesante.

L’Indien, chauffant ses mains, contemplait les petites flammes rapides qui partaient de son braser, et ses paupières se baissaient doucement. À quoi songeait-il, cet homme qui aime la chèvre au piment, le beurre fort et la cannelle au miel ? L’énigme de l’existence n’est-elle pas si profonde qu’il y a bien place pour ses réponses et sa rêverie ? Et par des temps on la raison est en faillite, est-ce que, dans la bizarrerie de ses mœurs exigeantes, il n’y a pas plus de bon sens que dans le ricanement d’un marchand que la guerre a fait cossu ?… Barbet, trop occupé de préparer un plan pour ne pas mourir en visitant les premières lignes, ne se disait rien de tout cela. Seul, le major James Pipe, sans souffler mot, l’avait à demi senti. Seulement, en jeune Anglais qui n’aime pas discuter, il répondait à ce gros homme par monosyllabes, et il souriait.

Après que tout le monde eut bien pataugé dans la boue, les deux groupes se dirigèrent vers leurs autos. Barbet les rejoignit et là, le major James