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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

Ils marchèrent cinq minutes durant lesquelles le général dit d’une voix forte, — d’abord : « Beau temps, n’est-il pas ? » — puis : « Le guerre est gagnée, yes ! ». Barbet sourit. On arrivait à un champ de manœuvre, prairie vaste, verte, plate, sous un ciel dont les nuages nuancés eussent retenu les yeux de M. John Pipe, qui n’aimait pas les laisser errer sur terre pour y voir simplement des exercices de soldats ; et c’était cela le spectacle qu’offrait cette prairie, mais au lieu d’hommes de troupe, on faisait pivoter des officiers. Qui on ? Un grand diable de lieutenant manchot, deux mètres, trente-cinq ans, une victime de la guerre à qui, tout de même, il restait de la voix. On eût dit qu’il s’entretenait avec Dieu, tant elle résonnait jusqu’à la voûte du ciel ; mais si le timbre était puissant, la langue était imagée et la verdeur des expressions laissait vite percevoir qu’il ne s’adressait qu’à des hommes… à des hommes-officiers pourtant.

Ils étaient là une quarantaine de commandants, au garde à vous, talons joints, tête haute. L’un d’eux s’était détaché et, dans la prairie, s’évertuait à faire manœuvrer une compagnie. Les hommes tournaient, s’agitaient par longues rangées, puis quatre par quatre, en colonne ; et ils