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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

— Ces messieurs n’ont plus que cinq minutes. Il est neuf heures moins cinq : les liqueurs, ça finit à neuf heures.

— Alors, fit Barbet, ce sera pour une autre fois.

— Mais, reprit béatement le garçon de Montmartre, baissant les yeux comme une coquette et parlant bas, les poings sur la table, monsieur a jusqu’à neuf heures et demie pour les boire.

M. John Pipe, quoique consciencieux Anglais, était trop enclin à la fantaisie pour ne pas être ravi de la plaisante roublardise de cet homme, et, mangeant le potage, il dit à Barbet :

— Tout le monde, chez vous, il sait causer. Ces simples serviteurs qui connaissent point le grammaire, ils avaient l’esprit comme du feu ! Les mots ils sortent et ils pétillent ! Oh ! j’aime le France !… Dans le France, même les gensses bêtes ils sont intelligents.

Barbet approuva avec pompe et oublia presque l’Angleterre, les Anglais, leur hospitalité, son voyage. Il était fier surtout, en cette fin de journée, d’appartenir à un peuple bavard, qui joue si facilement avec les idées et les phrases. Il s’aimait bien, ce soir-là, Barbet, et de ce fait il trouvait plus de charme à M. John Pipe. Aussi, eut-il