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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

au lieu de se louer d’être un citoyen de la moderne Angleterre.

Bâtiment énorme, avec trois étages de hublots, des mâts démesurés, un pont qui devait être une place publique, une proue ornée d’une grande figure de Victoire en chêne peint, et des ancres géantes qui pendaient sur ses flancs. Vite, les yeux brillants, M. John Pipe demanda ce qu’était ce grand navire, et l’homme à la mâchoire de requin répondit :

— Oh ! celui-ci il ne fait point le guerre !

À ces mots, Barbet eut un rire avantageux, et il échangea avec le Commodore un regard de gens qui s’entendent ; mais cela n’était pas fait pour désarmer M. John Pipe, qui avait la joie de voir réalisé un échantillon de la marine pittoresque telle qu’il la rêvait. Il se moquait bien qu’elle ne fit pas la guerre, cette vieille coque étonnante. Raison de plus pour l’aimer… Qu’il était beau, ce bateau, en plein milieu de la rade, sous le soleil qui lui redonnait un violent coup de peinture ! C’était un des aïeux de la flotte britannique ; il se reposait en une eau calme, tandis que ces affreuses ferrailles bataillaient, se crevaient et se coulaient. Lui, il prenait encore le vent de la mer, et quoique survivant dans un âge bien