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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

l’étonnement satisfait. Et pour avoir l’air d’un homme fort, d’avance il contenait sa joie. Elle était grande pourtant. Ce voyage imprévu comblait ses vœux, noyait son ennui, guérissait son découragement. Il allait remuer, changer d’air. Enfin ! Tous les autres, dans ce journal, s’en allaient aux quatre coins du monde ! Il y avait bien la phrase du patron qui le vexait : « Tous mes regrets, capitaine, de ne pas vous donner qui vous demandez. Barbet, ça sera bien quand même ». Quelle brute, cet homme, avec ses airs jésuites ! Mais Barbet ne s’attardait plus à ces petites piqûres d’amour-propre, et s’affirmait à soi-même que l’expérience avait tué sa vanité : « Je suis réaliste ; donc, je m’en tiens aux faits. Le fait, c’est que je pars. Au diable le reste ! »

Il y avait bien aussi qu’on l’expédiait en Angleterre, juste au moment où il voulait manger de l’Anglais. Mais cela, encore, il savait l’accommoder pour que ses idées, tant bien que mal, eussent l’air en ordre. Il pensait :

— Je n’ai aucune sympathie pour eux, mais… je ne suis ni un abruti ni un intransigeant : je ne demande qu’à voir. Ce voyage, je l’accepte avec « l’esprit scientifique » sans prévoir où il