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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

autour, dorment dans le charbon, dans une terre infernale, sous des croix noires, sous des buis noirs, et leurs noms ne se lisent plus, écrits noir sur du noir. Il faut quinze jours de beau temps sur le pays voisin, avec un soleil formidable et entêté, pour percer cette couche flottante de fumée noire ou rousse. Alors, parfois, par un matin qui fait rêver le reste du monde, il arrive jusqu’aux murs de cette cité minable, quelques rayons pâles, tremblants, qui s’accrochent aux vitres sales des bâtisses. Les enfants, étonnés, sortent pour « attraper » le soleil. Le temps de se mettre au jeu : le rayon s’évanouit. Ces enfants-là sont nés pour l’usine, l’effort et les sueurs dans la brume.

Mais ils ne songent pas à ces choses. Il n’y a même qu’un visiteur comme M. John Pipe pour y songer. L’homme s’accoutume au pire destin ; le travail l’absorbe, tue ses désirs et ses regrets ; et au bout d’une journée de fatigue dans le ronflement de l’atelier poussiéreux, il goûte encore le repos dans la fumée du dehors.

Dès que la cloche sonne l’heure d’être libre, des portes de chaque usine il s’échappe un flot d’hommes qui courent, haletants du désir de quitter les machines et de rentrer prendre leurs