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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

les saisons devaient passer, sans se distinguer les unes des autres, sinon par le froid et le chaud. Mais la lumière du printemps ne devait pas atteindre ce pays. D’ailleurs qu’y éclairer ? Il ne pousse plus un arbre ; pas un oiseau n’y vole ; le dernier poisson de la rivière a crevé. Seul l’homme, plus fort ou plus fou, réussit à vivre dans une brume qui fait songer à une affreuse bataille.

C’est qu’on y forge — à cette idée, d’avance Barbet frémissait d’enthousiasme — on y forge, avec des feux plus aveuglants que l’éclair et, sous le tonnerre des pilons, tout ce qui doit éclater d’horrible dans les combats. Là des engins faits pour la mort sortent d’un enfantement farouche.

M. John Pipe eut tout de suite la gorge serrée. Son œil, en ces lieux, n’avait rien à voir que des murs d’une couleur morte, des bicoques blafardes, des cheminées qui souillent le ciel, des remblais de détritus, faits de la cendre des fours. — Au milieu de ces hideurs, une pauvre église s’efforce de prier pour la misère humaine, mais les fabriques l’étouffent de la puanteur de leurs entonnoirs et ses prières expirent, asphyxiées. Elle est menue, noire, affreuse. Des morts,