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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

bougé. Vers deux heures, en rêvant, il avait balbutié simplement : « On y fabrique des rasoirs ». Sa pensée, sans doute, errait autour de Sheffield où l’on arriva vers six heures.

Ah ! Sheffield, lorsqu’on y débarqué, quel terrible étonnement ! Barbet, joyeux dès la gare, dit :

— Que de fumée ! Splendide effort !

Mais M. John Pipe fit d’un ton résigné :

— On croirait nous sommes en enfer.

Ces deux hommes n’étaient pas au diapason. L’un, toute la nuit, s’était pénétré par une lecture, du charme de la campagne ; et, tout de suite, dans ce pays effrayant, il se sentit malheureux. Tandis que l’autre ayant dormi son soûl, s’étirait, plus robuste, prêt à admirer la force énorme de l’industrie anglaise, même dans une atmosphère de charbon Barbet avait l’esprit plein d’allégresse. M. John Pipe se sentait un cœur sans joie.

Le fait est que pour un homme sensible Sheffield ne paraît plus une ville, et M. John Pipe ne vit qu’un immense tourbillon de fumée, avec des choses indistinctes dedans : une terre pitoyable, chargée de suie, l’air n’étant qu’un brouillard sous un ciel invisible ; et il songea qu’en vain