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GRANDGOUJON

de la fausse-monnaie !… Et… le chemineau qui, hélas ! viole les petites filles de dix-huit mois ?… Que c’est bien, Monsieur !… Et vous faites aussi acquitter le notaire vicieux, l’étrangleur de vieilles dames ?… Ah ! que de gratitude on vous doit !

La physionomie qui accompagnait cette déclaration était d’un parfait pitre. Grandgoujon se mit à rire, et avec douceur :

— Je vois, mon lieutenant, que vous connaissez la vie…

— Un peu… dit Moquerard, chevrotant comme un vieillard expérimenté, un petit peu…

Puis, sérieux, brusquement, tel un homme en proie à d’importantes affaires, il jeta un coup d’œil sur l’avenue.

— Ce n’est pas tout ça : la moitié de l’Europe a beau être en esclavage pour des raisons que les agrégés d’histoire croiront seuls démêler ; moi, Messieurs, je démêle (aimez-vous ce verbe démêler ?), je démêle, ou plutôt me suppose démêlant ceci, qui ne présente rien d’emmêlé… que Mademoiselle Nini, sœur de ce personnage (il désigna Quinze-Grammes), créature, qu’avouons-le, je courtise (il fit des yeux en amande) — hélas ! Monsieur, excusez mon tempérament (il dévisageait Grandgoujon et il précipita son débit) ; mon grand-père était satyre ; et son sang bouillonne en mes veines, sang qui n’a rien de chaste, rassurez-vous ! Bref, Mademoiselle Nini va, dans quelques minutes, réjouir ces lieux médiocres de sa silhouette de nymphe. Or, je trouve malséant de l’attendre en faisant le pied de grue sur le trottoir