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GRANDGOUJON

— Rien que les menaces me font peur, dit doucement Madame Grandgoujon.

Sur ces mots, ces dames qui n’avaient pas repris haleine, se turent un instant.

Grandgoujon se promenait de long en large. En lui-même il ruminait :

Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser.
L’univers est un mystère…

Et il regardait Madame des Sablons.

Lui, avec son pantalon qui lui collait aux cuisses, sa vareuse trop courte, il était comique, mais il dit tout haut, d’un ton sentimental :

— On n’a plus sa tête… Depuis deux ans je n’ai pas lu un vers, ni regardé un nuage ou les yeux d’un ami.

La pendule sonna.

— Deux heures !

Brusquement il revit l’École Militaire, le sous-off, et balbutia :

— Il faut que je sois dans un quart d’heure aux écuries…

Madame des Sablons eut un nouvel éclat de rire. Au lieu de penser : « Est-ce qu’elle se moque ? », touché au contraire par cette gaîté de jeune femme, il essaya de fermer sa capote et répéta : « Quel honteux fagotage ! » Il prit son képi de général, puis il dit au revoir, sans réussir à s’en aller. Il aimait son chez lui, avec cette