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GRANDGOUJON

Mais soudain, avant qu’on eût pris garde, il arrivait que ce gros garçon éclatait en des colères aussi violentes que brèves. C’était un orage. Avec un bruit de tempête il saisissait, furieux, le premier objet près de sa main et l’écrasait ; puis, brusquement, ce courroux qui n’était qu’une révolution de ses humeurs, se fondait avec des grognements en une sueur inoffensive, qu’il tamponnait en soufflant comme un dieu marin. On pouvait dire, en ces minutes tumultueuses, qu’il n’était pas maître de soi ; son tempérament l’emportait ; il y avait eu dans la famille, du côté maternel, un grand oncle impétueux. Tout de suite d’ailleurs, il se faisait pardonner ; il s’accusait, souriait. Gourmand de tous les plaisirs, faible, généreux, il ne se connaissait pas d’ennemis. Seuls quelques amis vrais se vengeaient de sa santé en le soupçonnant d’une médiocre cervelle. Et peut-être qu’il ne s’y construisait rien qui ressemblât aux idées ou aux images d’un philosophe profond, mais le cœur, pour le courant de la vie, y poussait tant d’idées chaudes et charmantes ! — Sa mère, sans jugement, aurait dû faire de lui un enfant gâté, et voici que grâce à Dieu il devint un gros bonhomme, trop sensible pour être égoïste, insouciant, candide, confiant.

Il trouvait la vie si bonne que tout drame imprévu le plongeait dans une stupeur, mais il ne restait ému qu’autant que ses yeux voyaient. Tournait-il les talons ? Il oubliait, à la minute, et il s’applaudissait d’être né au vingtième siècle, après tant d’ancêtres barbares ou malchanceux,