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GRANDGOUJON

pièce, un face-à-main devant les yeux. Elle avait un air crâne dans son tailleur bleu horizon, et d’une voix ou satisfaite ou ironique :

— C’est plein de bibelots charmants !

— Pouh ! fit Grandgoujon bonhomme, ils nous rappellent des voyages, des fêtes… Ma mère et moi ne savons nous séparer de rien… Certains disent que c’est affreux ici… Ce n’est pas un musée, mais on s’y plaît.

— Au mur, dit Madame des Sablons, qui est ce vieux monsieur bienveillant ? Votre père ?

Grandgoujon la regarda avec gratitude.

— Vous ne le reconnaissez pas ? Mais c’est Henri IV, Madame !… Un bon celui-là et un rigolo. Il adorait Paris, les femmes, l’agriculture, le pot-au-feu. Et il avait un plumet blanc : moi qui aimerais tant ça !

Madame des Sablons s’amusait. Elle alla vers la fenêtre.

— Et sur votre balcon ? Des pots ? Des cages ?

Elle se renversait pour rire, laissant glisser le face-à-main.

— Cré nom d’une pipe ! pensa Grandgoujon qui la mangeait des yeux, quels jolis seins elle doit avoir, cette femme-là !

Il ne songeait plus à sa caserne. Il se sentait un gaillard. Avec plaisir, il expliqua :

— Dans le pot, c’est du trèfle à quatre feuilles : on l’arrose le vendredi, et on le regarde tous les autres jours, pour voir la chance arriver.

— Vous êtes impayable et délicieux ! dit Madame des Sablons.