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GRANDGOUJON

— Si c’est vrai, c’est une honte ! Pas plus tard qu’hier, dans mon escalier, j’ai failli mourir.

— Oh ! alors, dit Quinze-Grammes, ça t’changera pas !… Pauv’vieux, on est dans un mastic, qu’une mère cochon y r’trouverait pas ses p’tits !

Le long d’un mur lépreux, il y avait des pommes éparses sur le sol. Tels des gens courbaturés par une effrayante fatigue, un homme, deux, trois, s’approchèrent. Un gradé aboyait :

— Aux patates ! Ceux qu’en éplucheront pas, j’prendrai leur noms !

— C’est-il vrai, dit Quinze-Grammes à l’un des arrivants, qu’y a d’main un départ pour Dunkerque ?

— Pas Dunkerque, fit l’homme, Salonique. J’ai vu la circulaire.

— Ça alors, murmura Grandgoujon blêmissant, Salonique… c’est la mort assurée !

Le ciel, qui au-dessus des hommes vit et évolue sans se soucier d’eux, les noyant dans l’ombre ou la lumière, le ciel s’était chargé de nuages épais. Il tombait une pluie fine. Grandgoujon frissonna. Mais Quinze-Grammes reprit :

— Salonique ? Dunkerque ? Personne sait rien. Rapports d’cuistots !… T’en fais pas. Seulement, on est seuls à éplucher les pommes… comme des poires !

Les trois hommes se récrièrent :

— Alors nous, on compte pas ?

— En v’là vingt-cinq qu’j’épluche !

— Les pommes c’est toujours cause à dysenterie !