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GRANDGOUJON

— Alors, t’attends qu’deux heures. Y a des murs, mais des fissures dedans… J’te dis, t’en fais pas… T’as l’air bon vieux.

— Ça, dit Grandgoujon flatté, je n’aime pas les mauvais bougres.

— Eh bien ! reprit l’autre avec importance, t’seras l’ami à Quinze-Grammes, et on t’fera voir les choses.

Ils avaient traversé la grande cour, qui parait belle à un homme libre, mais est désespérante pour des soldats. Et ils entrèrent dans un couloir où l’on respirait cette mélancolique odeur de cuir, de crasse et de soupe, spéciale aux couloirs de casernes. Ainsi que tous les hommes qui pénètrent dans une bâtisse militaire, Grandgoujon avait perdu soudain toutes ses idées et ses sentiments à la porte. Il était comme vidé de ses pensées personnelles, suspendu à la minute présente, ballant et médusé.

— Faut pas croire, dit Quinze-Grammes, que t’es ici pour travailler. Ici, rien à faire qui rentrerait dans quèque chose d’à peu près intelligent.

Pour discourir, il se percha sur des sacs, sous un escalier. On était à l’abri des gradés. Il prit Grandgoujon par son habit :

— Qu’est-ce qu’on est, nous ? Des bouchons. Y a qu’à s’laisser flotter.

— C’est vrai, approuva Grandgoujon.

— L’major m’a dit : « T’es pas gras. Combien tu pèses ? » J’y ai dit : « Dans les cinquante. »

— Cristi ! dit Grandgoujon.