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GRANDGOUJON

— J’comprends ! Mon père est dans la fruiterie. M’a engagé d’m’y mettre…

— Ah ! c’est bon aussi, dit Grandgoujon.

— Penses-tu ! Un jour, t’as des fruits ; l’lendemain t’as des vers… t’es pas ton maître. Tandis qu’la mécanique… quoi, c’t un truc mécanique…

— Je vois, dit Grandgoujon, qui trouvait cette figure sensée.

Ainsi que tous les gros, au geste large, il n’avait aucune gêne près d’un homme qui n’était pas de sa condition. Il prit sa bonne voix, et Quinze-Grammes, touché, dit :

— Pas besoin d’t’en faire. T’auras, comme moi, qu’à être indisponibe.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Tu tiens pas à vider des poubelles ?

— Des poubelles ?

— Ni à être débardeur ?

— Je suis avocat, dit gravement Grandgoujon, et je demande à être utilisé.

— Oh ! y a pas d’utilisé, reprit Quinze-Grammes d’une voix lente et blasée, y a qu’une méthode. Tu vas trouver l’major. T’y dis : « J’suis claqué. » C’t’un bon vieux : il t’colle indisponibe. Après, personne peut rien. Un général arrive ; il t’dit : « Faites ça. » T’y réponds dans l’nez : « Indisponible ! », et c’est marqué su une feuille, avec un cachet.

— Mais, de ce fait, dit Grandgoujon, toute la journée…

— T’attends cinq heures.

— Ça doit être long.