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GRANDGOUJON

à la destinée brutale, était mort tout à coup à quarante ans, d’une pneumonie, répétant entre deux étouffements : « Mon Dieu !… Quel malheur ! » Sa femme, qui l’aimait comme une chienne aime son maître, ne répondait que des sanglots, et elle lui avait apporté son fils sur le lit, gamin de dix ans, noyé de larmes devant la détresse paternelle et l’éplorement de sa mère.

Premier gros chagrin qui avait amolli cette bonne nature douillette ; après quoi, il s’était pelotonné dans l’affection de sa « maman », et jusqu’à la vingtaine avait gardé des fossettes au menton.

Sa mère était avec les siens ou les autres, bonne comme une aïeule de conte de fée, d’une manière touchante et étourdie, dépensant son cœur en mille riens, — âme fine, restée puérile, et dont la sensibilité s’effarait de tout ce qui n’est pas bonheur et lumière.

Voyant à son gros fils cette mine faite pour la joie, elle pensa, dès que le père fut parti : « Pauvre chéri, il ne faut pas l’attrister ! »

Aussi, au bout d’un mois de larmes brûlantes, elle s’obligea à rire pour qu’il eût la jeunesse qu’annonçait son visage. Navrée pour lui que Dieu n’eût pas fait chaque année quatre printemps, elle lui inventa des plaisirs pour chaque saison ; dans sa maison triste elle reçut des amis gais ; elle l’envoya à tous les spectacles de ce Paris qui possède un théâtre au coin de chaque rue ; et quand, après douze mois de frivolités, il était refusé à quelque examen par des professeurs