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GRANDGOUJON

, drôle d’ailleurs, car sa grosse voix semblait surprise d’être sérieuse. La fatalité l’emportait, ainsi que tous les Français, et il aimait tous ces Français-là… Il courut au métro : il n’y trouva pas l’écho de son affection. Des voix malveillantes grognèrent :

— Quand on est gros comme quatre personnes, on a une voiture à soi !

Alors, sur le ton grave de Colomb, qui lui restait dans l’oreille, il déclara :

— Je fais mon devoir. Ceux qui désirent mes papiers…

Un farceur glapit :

— Moi !

Mais le train s’arrêtait ; un remous entraîna Grandgoujon et il courut jusqu’à l’École Militaire. Il en franchit la grille en même temps qu’un homme pris de vin qui avait l’air de courir après un rêve, et qui lui écrasa les pieds, balbutiant :

— Hé ! là !… Mes cors ?

Elle a l’allure noble, cette entrée de l’École. Une vaste cour s’étale, devant un bâtiment d’une ordonnance fort belle. À deux heures, l’été, quand le soleil donne, il y a place pour faire rôtir deux régiments au garde à vous. Et Grandgoujon, rempli à cette minute de pensées patriotiques, fut si sensible au grand air des constructions et de l’esplanade, qu’il s’excusa près du pochard, et se trouva devant le poste, silencieux, les yeux ronds.

Un sergent, avec l’autorité que donne une jugulaire au menton, demanda :