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GRANDGOUJON

— Rien de rien, dit Colomb. Pour les potins ce n’est pas moi qu’il faut voir.

— Et c’est toi que je verrai ! dit Grandgoujon, clignant de l’œil, parce que c’est toi qui me plais… parfaitement ! Je ne suis pas misanthrope, moi ; mais… il n’y en a pas à la pelle des types qui m’emballent… Toi, ça y est… et j’ai l’œil américain. Aussi, ce soir, je suis content ! Et, malgré cette guerre, dont je souffre comme personne, car ces récits de massacres, ça me retourne jusqu’aux doigts de pieds… malgré toutes ces horreurs, je vais t’emmener dans un bon restaurant, je ne sais pas lequel, mais on va se taper la tête… Ah ! vieux Colomb, ça fera du bien !… On vit de fichues journées ! Quel cauchemar !… Il y a des heures, on ne respire plus, on croit qu’on va rendre sa gorge… Chez moi, c’est effrayant… Et j’ai été voir un médecin, un crétin… Mais, d’abord, reprends-tu un quinquina ?

— Sûrement pas !

— Tu ne bois qu’à tes heures, comme la Mule du Pape ? Je n’insiste plus ; réserve-toi pour les vins… Avec Grandgoujon, tu vas voir la couleur et l’odeur des vins… Je disais… j’ai vu un docteur ; sais-tu ce que m’a raconté cette andouille ? que j’étais aérophage ! Au lieu de m’expliquer : « La guerre vous mine », car c’est ça… je ne suis pas service armé, mais… ces batailles me tuent !

— Mon ami, ne le criez pas ! souffla Colomb. Il y a des esprits faibles qui comprendraient mal.

— On a besoin de le dire !