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GRANDGOUJON

dans la ligne une barbiche impériale bien taillée, bien peignée, poivre et sel, assortie à la moustache épaisse et à deux petites pattes qui prolongeaient les cheveux sur les joues creuses. Il avait des narines inquiètes, comme s’il respirait un air fiévreux, et des yeux clairs, mais d’un regard aigu, des yeux de rêveur… qui tient son rêve, — jusqu’au bout !

Madame Grandgoujon, dès l’abord, le trouva distingué, sans songer que, peut-être, il était redoutable. Elle ne pensa pas, surtout, quel contraste c’était avec Poulot, au laisser-aller bon enfant. Elle n’était pas accoutumée à ces remarques : sans défense, elle allait vers les gens. Son fils de même. Il venait d’introduire chez lui ce personnage hautain, au front d’apôtre, qui, dans un fauteuil Louis-Philippe en velours râpé, se tenait raide, le visage dramatique, — et c’est à cet homme-là, au bout de trois phrases, que Grandgoujon déclara, lui tapant l’épaule :

— Mon vieux Colomb… il faut que je te tutoie !

Solennel, l’autre répliqua :

— Je serai flatté, mon cher, de cette marque d’affection.

— Ah ! Ah !… Brave vieux ! fit Grandgoujon.

Il lui donna deux tapes sur le genou. Puis, à sa mère :

— Tu ne peux pas te douter de tout ce que fait Colomb. C’est un homme formidable !

Colomb protesta pour la forme : « Mon cher, je vous en prie… » Mais, ému, il serra sa paire de gants, et Grandgoujon dit, enthousiaste :