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GRANDGOUJON

amis Punais des Sablons, qui, d’ailleurs, ont le plus vif désir de vous connaître aussi.

Il mettait un accent tonique sur les mots importants. Madame Grandgoujon poussait un fauteuil : « Que vous êtes aimable ! Asseyez-vous, Monsieur. »

Après quoi, Grandgoujon, exubérant, avoua tout de suite les raisons de sa joie :

— Je suis tombé dans une maison formidable ! Eux, d’abord, sont prodigieux ! Elle, mère chérie, la connais-tu ?

— J’ai dû croiser cette dame…

— Femme supérieure. N’est-ce pas, Colomb ?

Colomb fit sur un ton religieux :

— Supérieure !

C’était un homme étrange, ce Colomb, portant avec verdeur la cinquantaine. Il avait des pieds longs, chaussés de bottines d’une pièce, genre officier du Second Empire, auxquelles il ne manquait que des éperons. Dès qu’il était assis, la jambe de son pantalon laissait voir un centimètre de chaussette blanche. Son mince torse était comme ficelé dans une redingote très épaulée, qui lui faisait un haut de corps carré, prêt pour le garde à vous. D’une main nerveuse il serrait une paire de gants qui n’avaient jamais été enfilés, car les doigts en demeuraient aplatis ; sur un gilet de velours noir montant bouffait une cravate d’homme libre, cravate artiste, en soie noire, laquelle maintenait un col très haut, d’où la mince figure émergeait, cocasse et volontaire. Un nez long sur une bouche crispée, et