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GRANDGOUJON

c’est la salive. En salivant j’avale de l’air. Je me ballonne. Mes digestions s’arrêtent et je deviens incapable de rien faire.

— Pas possible ? répéta la jeune femme.

Elle savait, avec un à-propos frappant, varier ses intonations qui, après la surprise où la sympathie, exprimaient une coquetterie assez ardente. Grandgoujon la regarda dans les yeux et ils se sourirent. Étaient-ils déjà des amis ?

Le mari, solennellement, avait posé sur son nez un important lorgnon d’écaille, qui faisait paraître sa tête menue.

— Voici ce que m’écrivait encore Colomb : « Grandgoujon (vous excuserez ce « Grandgoujon » tout court) Grandgoujon avocat, sera pour votre œuvre patriotique une recrue de premier ordre.  »

— Il est gentil, ronronna Grandgoujon, qui ne comprenait rien : il y a près de dix ans que je ne l’ai rencontré… Mais par recrue, que veut-il dire ?

— Ah ! fit vivement la jeune femme, à qui une flamme courut dans les yeux, mon mari — je ne dis pas cela parce qu’il est mon mari — est en train de faire une des choses les plus belles de cette guerre.

— Chère amie !…

— Vous le savez.

— Enfin, reprit le mari (il avait un soupir d’humilité entre chaque phrase), ne pouvant plus être soldat, je me bats, cher Monsieur, comme je puis, — à l’intérieur.