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GRANDGOUJON

soit touché. Tout de suite, vous montez en ami. Vous n’avez même pas pris vos gants et votre chapeau. Que c’est cordial et que c’est bien !

Durant ce double discours, Grandgoujon, étourdi, frottait son menton, serrait sa cravate, et sentait ses idées partir en farandole, sans qu’il fût possible d’en rattraper aucune. De sa colère, plus trace ; il était stupéfié. Bien mieux, la voix de cette femme venait de le caresser voluptueusement ; elle avait des yeux tendres qui annonçaient un cœur plein de gentillesse ; et enfin elle était habillée d’une manière imprévue et charmante : sans doute se donnait-elle à quelque œuvre de guerre, car elle portait un uniforme tailleur à grandes poches, ceinture et boucle, d’une coupe nette qui lui faisait une allure décidée, mais d’un bleu doux, séant à sa grâce féminine. La jupe courte découvrait des pieds aux fines chevilles, chaussés de souliers vernis, d’une élégance brillante et neuve. Elle était fort piquante. Aussi, quand elle se tut et que ce fut à lui de parler, il balbutia :

— Madame, pour moi aussi c’est une joie…

Vraiment, il la savourait des yeux : d’abord, vingt ans de moins que son mari ; une brune de trente-cinq ans, à l’été de la vie, ronde et sûre d’elle, dont le regard vibrait comme l’air d’une belle journée, mûre à point, des mains potelées, une gorge ferme, un bas de jambe plein de promesses, un cou pour plaire aux hommes. Grandgoujon se cala dans un fauteuil et largement sourit. N’ayant pas d’amour-propre, il n’était pas